La pantoufle de verre… ou de vair ?

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La pantoufle de verre… ou de vair ?

Ce n’est pas seulement une question d’orthographe !!!! C’est une grande controverse !

En effet, imaginez-vous, Mesdames (pour les Messieurs, cela demandera un effort particulier!), que vous deviez un jour porter des escarpins de verre lors d’une soirée dansante, et que bien sûr, selon le conte, vous terminiez le bal par un sprint échevelé, à minuit, pour attraper le dernier métro (soyons moderne!)… Ça finit comment, à votre avis ?

Aux urgences, évidemment!… Avec des milliers de morceaux de verre à extraire, un à un, de vos petits petons, devant un parterre d’internes et d’infirmières ébahis devant un cas aussi spectaculairement stupide!

Alors, même si je ne le connais pas personnellement, j’imagine que Charles Perrault n’était probablement pas un dangereux psychopathe, à la recherche d’objets de torture tordus pour sa douce héroïne ! Eh bien, je me trompais!… Non, je plaisante!

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La controverse sur la nature des pantoufles de Cendrillon dure depuis près de deux siècles. S’agit-il de verre ou de vair ? (Notons, les versions non francophones du conte demeurent à l’écart de cette querelle, basée sur une homophonie en langue française.)

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Rappelons que le vair désigne la délicate fourrure grise et blanche de l’écureuil petit-gris, qui doublait autrefois certains vêtements portés dans les classes sociales les plus élevées. Il n’a cependant jamais servi à doubler des chaussures.

En 1697, Charles Perrault, premier transcripteur français du conte populaire Cendrillon, intitula celui-ci Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre. « Verre » est donc la première graphie reconnue dans cet emploi. Et quoi qu’on en dise, l’orthographe était bien fixée à cette époque et M. Perrault était membre de l’Académie française : une telle erreur, commise plusieurs fois, est difficilement envisageable pour deux mots homophones mais de sens très différents, et une erreur récurrente des typographes, échappant aux relectures des correcteurs et de l’auteur, relève de la pure spéculation!

C’est à Balzac que nous devons la polémique actuelle. Dans son roman historique sur Catherine de Médicis, publié près d’un siècle et demi après la première édition des contes de Perrault, il écrit :

« Aux quinzième et seizième siècles, le commerce de la pelleterie formait une des plus florissantes industries. […] En France et dans les autres royaumes, non seulement des ordonnances réservaient le port des fourrures à la noblesse, ce qu’atteste le rôle de l’hermine dans les vieux blasons, mais encore certaines fourrures rares, comme le vair, qui sans aucun doute était la zibeline impériale, ne pouvaient être portées que par les rois, par les ducs et par les seigneurs revêtus de certaines charges. On distinguait le grand et le menu vair. Ce mot, depuis cent ans, est si bien tombé en désuétude que, dans un nombre infini d’éditions de contes de Perrault, la célèbre pantoufle de Cendrillon, sans doute de menu vair, est présentée comme étant de verre. »

 Honoré de Balzac, Sur Catherine de Médicis, « Le martyr calviniste », 1841

S’en suivront deux siècles de débats houleux entre des auteurs connus (Anatole France, André Gide) et de non moins illustres dictionnaires (Larousse, Littré) qui se disputent sur l’orthographe adéquate…

Les partisans de vair, épris de bon sens, ne contestent pourtant pas les autres éléments merveilleux du récit. Il paraît même raisonnable qu’une fée capable de transformer une citrouille en carrosse, des souris en chevaux, un rat en cocher et des lézards en laquais puisse chausser sa filleule de pantoufles de verre. La magie se chargeant de les rendre à la fois délicates et résistantes.

La pantoufle, rappelons-le, se trouve au centre d’un récit merveilleux, où Cendrillon porte « des habits de drap d’or et d’argent tout chamarrés de pierreries ». Outre le fait qu’une touffe de poils à chaque pied aurait quelque peu détonné, la place centrale qu’occupe la pantoufle dans la narration ne laisse guère de doute sur sa composition. En effet, l’épreuve organisée par le prince, consistant littéralement à « trouver chaussure à son pied », ne peut avoir de sens que si celle-ci est faite de telle manière qu’un seul pied puisse s’y loger. On conviendra qu’un soulier fait de vair ne permettrait pas une telle restriction et qu’il pourrait vraisemblablement accueillir de nombreux pieds différents. (Chez les frères Grimm, la pantoufle perdue est « tout en or » ; la rigidité de celle-ci semble donc bien être une condition nécessaire.)

Le verre, en outre, revêt dans ce conte une dimension symbolique bien plus forte que ne le ferait de la fourrure. Sa transparence l’associe à la pureté, et sa fragilité (ici suggérée, car le verre ne casse pas) n’est plus à démontrer. Dans le contexte de ce récit, il est même analysé comme une métaphore de la virginité, Cendrillon n’ayant qu’une seule règle à respecter : rentrer du bal avant minuit.

Le verre est donc bien ce qui fait de cette pantoufle, une pantoufle de conte.

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En 1950, les studios Disney mettent tout le monde d’accord : dans Cendrillon, la jeune héroïne porte des pantoufles de verre. L’image cristalline de la pantoufle controversée se répand alors dans le monde entier, ne laissant plus de place à la fourrure dans l’imaginaire collectif.

Paradoxalement, il n’y a aucune controverse sur le terme de « pantoufle », qui est universellement admis, alors que même à l’époque de Perrault, la pantoufle avait déjà son sens actuel de chaussure d’intérieur confortable, éventuellement ouverte à l’arrière comme les mules, ce qui, vous l’avouerez, n’est pas exactement le genre de chaussures qu’on porterait pour un bal. (Relire ma petite histoire d’introduction, en vous imaginant avec des charentaises aux pieds : beaucoup plus pratique pour la course, mais follement moins sexy!)

Notons, pour conclure sur une piste intéressante, qu’il aurait pu s’agir d’une pantoufle de veire (ou vaire), terme d’ancien français dérivé de voire et signifiant « vérité », la pantoufle étant bien, dans ce conte, l’instrument de la vérité.

Et si on relançait une polémique???

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