Je me revois, traversant la France, au volant de ma vieille voiture, chargée à ras-bord de mes affaires personnelles, pour 6 mois de remplacement congé maternité à l’Opéra de Rouen ! Je suis restée dans cette bonne ville pendant un an finalement, enchainant mon poste à l’Opéra, avec un remplacement à l’école de musique de Grand-Quevilly, puis une petite mission pour un petit festival baroque, et enfin une grande mission pour le grand festival « Automne en Normandie » !… Une des plus belles années de ma vie professionnelle et personnelle !
Et surtout l’occasion d’une découverte presque amoureuse, essentielle et ébouriffante : celle de l’Opéra !
J’avais déjà été à l’opéra avant, mais j’étais une spectatrice plus visuelle qu’auditive. Je m’extasiais sur la beauté des mises-en-scènes, des costumes, des lumières… Je reconnaissais les grands airs, je n’appréciais pas trop les récitatifs, j’écoutais à peine l’orchestre.
Et puis, à Rouen, j’ai découvert l’envers du décor et je suis tombée totalement sous le charme de l’art lyrique ! L’art le plus complet qui puisse exister, à mon avis !
La voix.
La principale caractéristique de l’opéra consiste à s’exprimer en chantant : la voix est au centre, primordiale, à l’intérieur d’une œuvre musicale écrite pour le théâtre, où inversement, émotions et drame doivent passer par cette voix, s’incarner dans les personnages et trouver dans l’espace théâtral, dans des situations fortes, une expression par la musique. C’est un véritable défi pour les chanteurs et chanteuses d’être à la fois d’exceptionnels musiciens de la voix et de formidables comédiens !
Regardez cet extrait de La Traviata, de Verdi : Violeta est en train de mourir : Renée Flemming doit exprimer tout son désespoir par son jeu d’actrice, tout en chantant allongée, à l’agonie ! Premièrement, imaginez l’exploit physique de remplir vocalement l’espace d’une salle d’opéra (sans micro) dans cette position ! Ensuite, Alfredo, son amant éploré (Rollando Villázon) doit chanter avec des sanglots dans la voix ! Maintenant, imaginez que vous devez chanter tout en pleurant…
C’est extrêmement difficile, pour deux raisons : premièrement, car l’émotion risque de vous submerger et de briser votre voix, et deuxièmement, car la technique vocale utilise la respiration par le ventre, siège de ces mêmes émotions, et qu’en activant ainsi le souffle, on réveille très facilement des émotions personnelles enfouies là ! La difficulté ici consiste donc à utiliser une technique sans se faire submerger par ses émotions, tout en jouant la comédie d’une émotion forte ! C’est très subtil ! Pour faire un parallèle, un comédien de cinéma, pourrait se laisser aller à pleurer pour exprimer la tristesse, ce qu’un chanteur d’opéra ne peut pas faire, car il doit chanter en même temps, tout en exprimant cette émotion quand même ! Vous me suivez ???
Le chant est une discipline extrêmement rigoureuse qui demande un travail quotidien au même titre qu’un sport de haut niveau. Vous voyez donc sur scène des athlètes de la voix qui réalisent chaque soir de véritables performances lors des représentations, plusieurs jours d’affilée.
La musique
Un orchestre symphonique et un orchestre d’opéra ne font pas tout à fait le même métier. Alors que l’un brille en pleine lumière sur le plateau de concert, l’autre est relégué dans l’anonymat de la fosse d’orchestre, devant, mais sous la scène. L’orchestre d’opéra comporte a peu près tous les instruments de l’orchestre symphonique : les cordes, les vents et les percussions. Parfois le clavecin, le piano ou encore la harpe sont utilisés. Le nombre de musiciens et le type d’instrument varient selon l’opéra, son époque, son compositeur. Il peut y avoir plus de soixante musiciens dans la fosse, qui est parfois spacieuse, et parfois aussi étriquée ! Certains musiciens sont tellement « au fond du tiroir » (comme ils disent !), c’est à dire presque sous la scène, qu’ils ne voient pas le spectacle, entendent à peine les chanteurs, assourdis par les autres instruments autour d’eux…
Sa particularité est donc de ne pas être visible, mais surtout, il ne doit pas couvrir les voix des solistes. Il a une fonction d’accompagnement : il doit offrir un véritable écrin à la voix ! Il doit être souple et à l’écoute, quand un ténor se lance dans un morceau de bravoure wagnérien et qu’il décide de tenir une note pendant 16 secondes, en dépit de la partition, le chef et l’orchestre doivent s’adapter et attendre en tenant l’accord !
Le métier de musiciens d’opéra est différent aussi de celui de celui de l’orchestre symphonique. Quelques petites anecdotes, racontées par des amis : parfois, pendant les « mesures à compter » (celles où tel instrument ne joue pas, le musicien doit compter les mesures pour reprendre au bon endroit), ils papotent entre eux, ou ils bouquinent, ou ils mangent une banane pour tenir jusqu’à la fin de l’acte sans gargouiller ! Ou bien, ils s’absentent tout simplement, car ils n’ont rien à jouer, comme cette harpiste qui devait jouer un arpège en début d’opéra et attendre ensuite 30mn avant d’intervenir de nouveau !
C’est drôle de se pencher sur la fosse et de découvrir la petite vie particulière de ces musiciens-fourmis.
Je ne vais pas m’appesantir sur le choeur, car je connais moins cette partie. Mais c’est un métier à part, car ils chantent sur scène et jouent des personnages en même temps. Ils doivent donc être des comédiens et comédiennes aussi. La qualité du choeur est essentielle à la réussite d’un opéra, tant cette partie est importante dans certaines partitions. On pense tous au choeur des esclaves dans Nabuco de Verdi !
Enfin, dans de nombreux opéras, il y a un ou plusieurs intermèdes de danse. Cette pratique vient de l’opéra-ballet du 18e siècle, lui-même issu des ballets de cour, à une époque où le roi, l’aristocratie et tous les gens éduqués savaient danser. Cela faisait partie de l’éducation de « l’honnête homme » du 17e siècle !
On trouve donc parfois des ballets courts inscrits dans l’action de l’opéra ! Et parallèlement, les maisons d’opéra abritent souvent aussi un ballet, comme le ballet de l’Opéra de Paris, mais aussi celui de Lyon !
Les autres métiers de l’opéra.
Je voudrais vous parler un peu aussi des acteurs de l’ombre, ceux qui sont dans les ateliers et les coulisses, et qui maîtrisent des savoir-faire techniques tellement précieux : comme celui de récréer la lumière d’une nuit de pleine lune en forêt ! Je me souviens ainsi d’un formidable éclairagiste qui avait réussi à créer cette atmosphère si particulière avec un tel réalisme qu’on ne pouvait que plonger avec les personnages dans le songe de cette nuit d’été ! Une merveille !
Il serait difficile d’expliquer le travail des régisseurs, mais ils sont indispensables au bon déroulement du spectacle : ils installent et changent les décors et les accessoires, indiquent aux chanteurs à quel moment précis ils doivent entrer en scène, en les prévenant dans leur loge quelques minutes avant, etc. Ils ont des casques avec micro et communiquent les uns avec les autres pendant le déroulement de l’action sur scène… et parfois ils s’envoient des vannes ! Une fois que j’assistais à une représentation en arrière-scène, i’ai eu l’occasion d’enfiler un casque et j’ai bien rigolé ! Ce n’est pas du tout guindé derrière les rideaux, c’est moi qui vous le dit !
Il y a aussi toutes ces « petites mains », et plus largement tous les techniciens et techniciennes des arts manuels, dans la création du spectacle : décorateurs, accessoiristes, maquilleuses, coiffeuses, perruquiers, bottiers, costumiers et costumières ! Pour comprendre tout ce travail de l’ombre qui rend le spectacle scintillant de lumière, il vous faut absolument visiter le magnifique Musée National du Costumes de Scène, à Moulins, dans l’Allier !
Toutes les collections de l’Opéra de Paris et du Ballet de l’Opéra de Paris y sont stockées et exposées régulièrement sur des thèmes différents chaque année. J’ai pu visiter l’exposition « Contes de Fées » l’été dernier et c’était réellement magique ! Voici une sélection de mes photos ! Je vous laisse deviner les contes correspondants aux costumes ! (Et si vous avez l’oeil, vous pourrez même me repérer !)
Comment l’opéra vient aux enfants.
Je cite ici un article de L’Express.
» On pourrait croire que l’opéra n’est destiné qu’aux gens d’un certain âge, aux habitués de Salzbourg, aux intellos un peu blasés. On se trompe. Par exemple, le public, inhabituel et très réactif, des après-midis musicaux à Bastille est composé de 300 jeunes de 3 à 17 ans, tous aussi passionnés les uns que les autres. «Après avoir assisté à une représentation, ma fille, 3 ans, écoute en boucle L’Enfant et les sortilèges, de Ravel. Les enfants ont une capacité à s’envoler et à vibrer bien supérieure à la nôtre…», raconte Véronique. Un enthousiasme confirmé par Agnès de Jacquelot, responsable du programme jeune public du théâtre parisien : «Ils n’ont pas besoin de fil directeur, ils reçoivent directement la poésie.» Bref, chez les plus jeunes, l’opéra est devenu tendance et, comme l’écrit Luc, 10 ans, dans son journal de classe : «C’est même bien mieux que le cinéma!»
Et si les enfants vont à l’opéra, l’opéra vient également aux enfants. De plus en plus souvent, les théâtres lyriques leur ouvrent leurs portes, proposant des spectacles adaptés aux capacités de leur jeune auditoire. « Ils sont fascinés par les décors féeriques, les costumes scintillants, les voix qui s’envolent, mais cela ne suffit pas à faire d’eux des mélomanes, explique Agnès de Jaquelot. A partir d’une heure et demie, leur attention chute. Or une oeuvre classique dure environ le double. » Pour les accrocher, l’Opéra de Lyon et l’Opéra Bastille ont créé des spectacles en version réduite (Le Petit Ramoneur, de Benjamin Britten, Les Noces de Figaro et une Petite Flûte enchantée, d’après Mozart…) ou dans des variantes plus accessibles (un Barbier de Séville orné des rythmes swinguant d’un orchestre d’accordéons). Les responsables jeune public du théâtre du Châtelet suivent, eux, une autre voie: « Nous n’avons jamais coupé une oeuvre sous prétexte qu’il s’agissait d’enfants, le principe de la maison est de ne pas la dénaturer. Les petits peuvent venir avec leurs parents assister au Mithridate de Mozart et l’apprécier dans son intégralité. En revanche, pour faciliter l’écoute, nous mettons en place une série d’activités pédagogiques.»
Préparation au spectacle, participation aux répétitions, rencontre des artistes… Les théâtres font tout pour sensibiliser les enfants. Mieux : certains passent aussi commande d’oeuvres spécialement conçues pour eux. Personnage emblématique de cette approche, la compositrice Isabelle Aboulker est l’auteur de sept opéras pour enfants, parmi lesquels Cendrillon et Le Petit Poucet, transpositions des célèbres contes dans l’art lyrique. Parfois, l’enfant y passe du rôle de simple spectateur à celui d’acteur, comme dans Les Enfants du Levant, qui mettait en scène une quarantaine de jeunes de 10 à 16 ans. Isabelle Aboulker n’est pas un cas isolé. Comme elle, une nouvelle vague de compositeurs s’est lancée depuis quelques années dans la création d’oeuvres réalisées avec la participation d’enfants et d’adolescents. C’est le cas de Journal d’un usager de l’espace, opéra jazz de Didier Lockwood créé à l’Opéra Bastille, ou de Ramdam, de Thierry Lalo, chanté par des adolescents issus d’une cité.
Plusieurs théâtres (Châtelet, Bastille, Opéra du Rhin ou l’Opéra Junior, à Montpellier) mettent également en place des ateliers de création où les enfants composent et interprètent leurs propres oeuvres, avec l’aide de metteurs en scène et de musiciens réputés. Ces ateliers se concluent par des représentations ouvertes au public, au sein même des prestigieux théâtres lyriques. Ainsi Tannhäuser, spectacle élaboré par une classe de CM1 au Châtelet, avec la collaboration de l’Orchestre philharmonique de Radio France.
Ces institutions publiques travaillent le plus souvent en tandem avec des structures indépendantes. Comme Didier Grojsman, qui en est à sa dix-septième commande d’opéra réalisé pour et par des enfants. Ce directeur d’un atelier d’éveil artistique (le Crea, implanté en Seine-Saint-Denis) accueille 130 jeunes de 6 à 25 ans, répartis en cinq choeurs : «Mon but est de donner à des gamins lambda, n’ayant aucune connaissance musicale, l’occasion d’approcher l’art lyrique et de se produire dans des lieux où ils n’auraient jamais mis les pieds autrement.» Pendant des répétitions, Quentin, 14 ans, l’un de ses barytons, raconte : «Quand j’ai commencé à chanter dans le choeur, mes copains ricanaient. Pour eux, l’opéra est un truc de privilégiés. Pas dans nos moyens, en tout cas.» En 2002, avec Quentin et un groupe de jeunes défavorisés, Grojsman a produit l’opéraWolfi,surprenant mélange d’airs de Mozart et de danse hip-hop. «Ils ne savaient même pas qui était Mozart et, aujourd’hui, ils sont derrière un pupitre avec la partition des Noces de Figaro», s’amuse Didier Grojsman. Dans le même esprit, Alain Marcel a mis en scène le thème de l’intégration dans sa dernière création, Le Paris d’Aziz et Mamadou : «Deux enfants de 8 ans, un Maghrébin et un Africain, se promènent dans une ville qui les rejette.» La troupe affichait un enthousiasme absolu. «Les enfants sont faits pour l’opéra, conclut Alain Marcel, parce qu’ils ne craignent ni la violence ni l’émotion.»
Conclusion provisoire
Je m’en tiendrai là pour le moment, mais la semaine prochaine, je continuerai sur ce sujet avec des exemples plus concrets pour faire aimer l’opéra à vos enfants, et à vous aussi, peut-être ! Pour aujourd’hui, je voulais juste vous faire partager la magie de l’art lyrique en vous emmenant avec moi derrière la scène ! Cela m’a aidée à mieux comprendre et donc à aimer cet art, si à part !
L’opéra, c’est une histoire, c’est une écoute, c’est vivre ensemble (public, orchestre, chanteurs et toutes les équipes en coulisses) un moment d’émotion intense ! Mais pour cela, il faut se donner la peine de déconstruire ces codes qui le rende prétendument inaccessible à qui ne connaît pas le répertoire, le chant lyrique, ou n’y a jamais mis le pied.
A la semaine prochaine !
Vivement la semaine prochaine !!!!!
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