Je pense donc je suis…

Je sais, je n’ai pas été chercher très loin… Vous savez d’emblée de quoi je vais parler aujourd’hui… Elle est un peu facile, cette citation, quand on veut parler de philo !

Oui, et en même temps, elle est si juste aussi !!!

Je pense, donc je suis… libre, attentif, bienveillant, à l’écoute, respectueux… et finalement, un citoyen du monde averti et engagé…

C’est tout l’objectif d’une éducation, comme l’exprime sur son blog , Michel Sasseville, professeur à la faculté de philosophie de Laval (Québec) et responsable de formation en philosophie pour enfants.

 

« Si on veut conduire les enfants à mieux penser (pas seulement plus, mais mieux), si on accepte l’idée que l’objectif de l’éducation est de rendre les enfants capables de penser par et pour eux-mêmes, alors il importe qu’ils s’engagent personnellement dans l’acte de penser et construisent ainsi, avec le temps et la répétition, la puissance de produire eux-mêmes les résultats. Comme on apprend à marcher en marchant, on apprend à penser en pensant. 
                                                            
http://www.philoenfant.org

Pourquoi est-ce que je vous parle de philosophie sur un blog concernant la culture générale pour les enfants ?

Eh bien, je vais laisser la parole à Frédéric Lenoir, philosophe et écrivain, que j’ai eu la chance d’interviewer lors d’une soirée organisée par l’association SEVE (Savoir Etre et Vivre Ensemble) qu’il a créé pour développer les ateliers philo à l’école, et dont j’ai suivi la formation l’année dernière pour la proposer à mes élèves !

« Je trouve que la transmission d’une culture générale est très importante, que ce soit la connaissance de l’histoire, de la géographie, des enjeux géopolitiques, des arts, parce que c’est vraiment ce qui nous permet d’avoir un esprit ouvert à la multiplicité des connaissances que l’humanité a acquises.

En même temps, ce n’est pas la même chose que la philosophie, puisque la philosophie c’est développer une réflexion personnelle. Il y a des gens qui ont une culture générale extraordinaire et qui n’ont pas une idée personnelle. Et à l’inverse, vous avez des gens qui ont des idées personnelles très fortes, mais parce qu’ils manquent un peu de culture générale, ils n’arrivent peut-être pas assez à les confronter à d’autres qui ont été exprimées. 

Donc je trouve qu’il faut les deux ! La philo a besoin de la culture générale pour ne pas répéter, ou rechercher, indéfiniment des choses qui ont déjà été trouvées, et la culture générale a besoin de la philosophie, pour que les individus ne se contentent pas d’être des répétiteurs, comme des bons élèves, mais s’interrogent sur le sens de tout cela, et essaient de tenir compte de l’histoire, du passé, de notre connaissance pour essayer de s’améliorer !

Donc c’est un équilibre entre les deux qu’il faut ! »

Merci Monsieur Lenoir d’apporter de l’eau à mon moulin !

 

« Les enfants sont tous philosophes, seuls certains le demeurent » – Michel Onfray

Oui, me direz-vous, c’est très intéressant tout cela, mais comment faire de la philo avec mes enfants alors que je ne suis pas philosophe, et que je n’écoutais rien en terminale et que j’ai eu 4 à ma dissertation au Bac… Bouhouhou…

D’abord, rassurez-vous, la philo pour enfants n’a rien à voir avec un cours de philosophie, encore moins un cours d’histoire de la philo ! 

Depuis la fin des années soixante, plusieurs manières de faire de la philosophie avec les enfants sont apparues dans l’univers de la pédagogie. En 1968, Matthew Lipman, philosophe et professeur de philosophie à l’Université Montclair, écrivait son premier roman portant sur les règles logiques pour des enfants de 10-12 ans et menait ses premiers ateliers philosophiques avec des enfants plus jeunes dans les années suivantes. Au programme, logique, esthétique, éthique et métaphysique sous forme de récit et de dialogue.

Son objectif : renforcer le jugement des enfants par le biais de l’exercice du dialogue, d’une pratique des « habiletés de pensée » (je reviendrai sur ce terme) et par l’éveil d’une pensée critique, créative et attentive.

Ces premières expériences ont inspiré d’autres personnes qui se sont aussi intéressées à cette idée de faire de la philosophie en classe, dès l’école primaire, et même parfois en maternelle ! (voir le film « Ce n’est qu’un début » de Jean-Pierre Pozzi)

Dans l’approche de Frédéric Lenoir que j’utilise en classe, les objectifs sont, comme l’indique le nom de son association : Savoir Etre et Vivre Ensemble. Les moyens que l’on se donne pour y parvenir sont la pratique de la discussion « à visée démocratique et philosophique », la maïeutique socratique (la quoi ???…) et la pratique attentionnelle (Kééé ?) 

Tout d’abord, la pratique attentionnelle est le nom consensuel donné à une courte (3-5 minutes) méditation laïque au début de l’atelier. On pourrait aussi l’appeler, comme le fait une collègue, une « remise au calme », par quelques exercices de respiration et de prise de conscience de son corps pour se poser physiquement et mentalement et ainsi se préparer à réfléchir. (Certains enfants adorent et en redemandent, d’autres n’accrochent pas trop, mais ça fait partie du rituel !)

Ensuite, il s’agit d’une discussion entre les enfants ! L’animateur essaye au maximum d’engager un dialogue entre les participants, en intervenant uniquement pour recadrer, recentrer ou relancer le sujet par des questions (pertinentes !) qui élargissent ou  approfondissent la discussion.

Elle a une « visée démocratique », car l’animateur se donne pour objectif que chaque enfant puisse s’exprimer personnellement et soit écouté avec respect pour son opinion. Un « bâton de parole » ou un enfant « gardien de la parole » et qui la distribue, permet de garantir l’écoute et la répartition de l’expression, en responsabilisant les enfants sur ce point.

Elle a « une visée philosophique » car nous cherchons à faire réfléchir les enfants et leur faire trouver leur propre réponse aux questions posées, sans morale extérieure donnée par l’adulte. D’ailleurs, les enfants sortent parfois frustrés d’un atelier, car l’adulte ne leur à pas donner LA réponse à la question : « Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? », par exemple. Et c’est justement ce que nous ne voulons pas faire : leur apporter une réponse toute faite ! Nous voulons qu’ils se forgent leur propre avis, et qu’ils aient aussi la souplesse d’esprit d’en changer au fil de leur propre réflexion ou en écoutant celle des autres. Il n’est pas rare en effet d’entendre en cours ou fin d’atelier, un enfant dire : « Finalement, j’ai changé d’avis et je pense que… » 

Nous finissons les échanges par un bilan sur ce qui a été dit au cours de l’atelier et sur la manière dont il s’est déroulé dans le respect, la qualité d’écoute, etc. Un enfant « scribe » a ainsi pris des notes et résume les propos, voire répond à la question posée en synthétisant les interventions. Cette pratique m’a souvent valu de grosses bouffées d’admiration pour mes élèves, capables de prendre des notes et de participer en même temps, tout en faisant une synthèse tout à fait intéressante ! (Je n’aurais pas fait mieux !…)

Voilà ! Si en classe, « l’atelier philo » est prévu, planifié et organisé rigoureusement, avec un début, un milieu et une fin, il en va différemment à la maison !

 

Comment faire de la philo en famille ?

Il s’agit tout simplement de les faire réfléchir à partir d’une question simple (en apparence) et de se mettre dans la peau d’un enquêteur pour y répondre ! C’est très ludique et les enfants accrochent très vite !

Alors évidemment, ne commencez pas la conversation en disant « Alors, maintenant, les enfants, on va faire de la philooo ! » Nooooon, ça, c’est bon pour la maitresse à l’école !

Faites plutôt de la philo comme Monsieur Jourdain faisait de la prose dans Le Bourgeois Gentilhomme ! 

Cela peut se passer à la maison, à table, devant la télévision, en voiture pendant un long voyage ou en rentrant du cinéma, ou encore au moment du coucher de votre petit, pour cinq ou dix minutes de réflexion philosophique, en toute intimité avec vous ! Et tout simplement, au moment où une question importante se pose naturellement, par exemple : « Peut-on tout accepter d’un ami ? » Cela peut être aussi un problème quotidien de vivre ensemble, par exemple : « Pourquoi faut-il ranger la maison ? »

Vous serez surpris de découvrir que les enfants sont capables d’aller très loin dans leur réflexion sur des sujets simples, ou très complexes, en apparence !

Alors, comment faire concrètement ?

Zappez la pratique de l’attention et réservez-la pour un autre moment de retour au calme : avant le coucher ou la sieste, par exemple, ou à tout autre moment, où votre enfant est stressé et a besoin de se détendre : avant un contrôle, un test ou une compétition. L’argument massue pour les petits récalcitrants, c’est de leur expliquer que beaucoup de grands champions (Roger Federer et autres) pratiquent la méditation avant leurs grands matchs !

Ensuite, instaurez un climat de confiance entre les frères et soeurs, en posant comme règle générale de la famille, que dorénavant la parole de chacun (enfant et adulte) compte autant que celle des autres, qu’on s’écoute et laisse parler et qu’on ne dénigre pas l’opinion de l’autre, pour pouvoir recevoir en retour une qualité d’écoute et de compréhension à la hauteur de la sienne. Ce qui est difficile à mettre en place, j’en conviens, surtout perdre l’habitude de parler tous en même temps ou de couper la parole ! En même temps, quel plaisir ce sera plus tard pour les copains, amis, conjoints de vos enfants, de se sentir écoutés et respectés ! Si l’habitude est prise enfant, c’est gagné pour la vie ! (En revanche, ils se sentiront parfois frustrés quand ils seront confrontés à des personnes qui ne les écoutent pas avec cette même qualité… mais ils seront capables de faire un peu de pédagogie pour faire comprendre à ces gens-là l’importance et le plaisir d’écouter et d’être écouté !) 

Enfin, passons à ces « habiletés de pensée » que j’évoquais plus haut ! Alors là, je vous le dis, en vérité, ça demande un sacré effort de réflexion personnelle ! Et c’est là qu’on s’aperçoit que nous n’avons pas, ou plus, cette habitude de penser. Je dirais même plus, en reprenant le titre d’un excellent livre, nous n’avons pas, ou plus, « l’art de penser » *.

Nous parlons ici d’un dialogue en famille et non d’un débat ! Dans ce dernier, si l’un a raison, l’autre à tort ; on pense les uns contre les autres et on cherche à convaincre ! Dans votre pratique familiale, vous allez chercher au contraire à développer l’écoute, le respect, la liberté de penser, l’ouverture d’esprit et l’égalité ; à penser les uns avec les autres, car si l’un a raison, l’autre n’a pas forcément tort ! Tout cela dans l’esprit d’une recherche collective et collaborative : avec recherche de réponses, mais aussi de critères pour élaborer une définition ou faire une distinction,  une recherche d’exemples et de contre-exemples dont le but est de mettre à l’épreuve certaines hypothèses. (Vous commencez à me voir venir avec mes habiletés de pensée ?) 

Le plus souvent possible, intervenez de manière interrogative, sans affirmer, ni juger, surtout avec de jeunes enfants. Plus tard, quand vous discuterez avec vos ados, il vous faudra prendre partie et donner votre point de vue, car ils seront en demande ! 

Votre questionnement doit donc, dans un premier temps, rester « faussement naïf », car dans les faits, vos questions seront orientées, non pas vers un contenu déterminé (il ne s’agit pas de faire dire aux enfants ce que vous aimeriez bien qu’ils disent), mais vers un questionnement éthique, métaphysique, esthétique ou logique. C’est ça, la « maïeutique socratique », c’est faire accoucher l’autre de ses propres idées, en le poussant un peu plus loin dans ses propres idées, concepts ou opinions, en lui posant des questions de plus en plus fines et pointues. Petit à petit, vous allez arriver à pratiquer certaines habiletés de pensée comme définir, distinguer, nuancer, repérer les préjugés ou présupposés, pour finir par raisonner avec logique.

Voici quelques questions en lien avec les habiletés de pensées :

  • donner des raisons : « pourquoi ? », « Sur quels critères te bases-tu pour dire que… »
  • définir : « Que veux-tu dire par… », « Quel sens donnes-tu à ce mot ? »
  • distinguer : « Fais-tu une différence entre… ? », « Est-ce la même chose pour toi ? »
  • comparer : « Pourrions-nous comparer ceci avec autre chose ? », « Est-ce que tu aurais une autre comparaison à proposer ? »
  • formuler des hypothèses : « Comment répondrais-tu à cette question ? », « As-tu une solution pour ce problème ? »
  • vérifier : « Comment sais-tu cela ? », « As-tu un exemple ? » « As-tu un contre-exemple ? », « Penses-tu que c’est vrai ou faux ? »
  • dégager des sous-entendus ou des présupposés : « Que présuppose cette hypothèse? », « Faut-il expliciter ce qui est implicite ici? »
  • etc.
  • quelques questions de logique : « Si…. Alors… ? », « Peut-on généraliser ? », « Que peut-on déduire de cette idée ? »
  • quelques questions d’éthique : « Est-ce mal ou mauvais de… ? », « Peut-on faire du mal pour faire le bien ? », « Est-ce acceptable ? », « Si tout le monde faisait cela, que se passerait-il ? »
  •  quelques questions d’esthétique : « Pourrions-nous dire de cette chose qu’elle est belle ? », « Si c’est beau, alors… ? »

 

Voilà, j’espère que vous vous dîtes : « Chic, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas un peu remué(e) les méninges ! Ça chauffe un peu, là, tout de suite, maintenant, en lisant ces questions, et je ne suis pas sûr(e) d’y arriver, mais ça vaut la peine d’essayer !!! »

Car oui, ce n’est pas facile, mais « c’est en marchant qu’on apprend à marcher » et en philosophant….

 

Pour vous aider un peu à entrer en matière, voici une mini bibliographie et vidéographie dans laquelle piocher :

  • La collection PhiloZenfants, d’Oscar Brenifer, édition Nathan : 
    • Comment sais-tu que tes parents t’aiment ?
    • Peux-tu faire tout ce que tu veux ?
    • L’argent rend-il heureux
    • Sommes-nous tous égaux ?
    • Pourquoi je vais à l’école ?
    • etc.
  • La collection Les goûters philo, de Michel Puech et Brigitte Labbé (en librairie)
    • L’amour et l’amitié
    • la Beauté et la laideur
    • Le bien et le mal
    • Ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas
    • etc.
  • Les philo fables de Michel Piquemal, édition Albin Michel

 

  • émission « C’est quoi l’idée ? » sur France 5 sous ce lien.
  • la série Mily Miss Question sur France Télévision sous ce lien 

 

* Note pour les parents d’ados qui vont bientôt passer leur bac de français ou de philo : pour préparer au mieux l’épreuve de la dissertation, je vous recommande ce livre « L’art de penser » de Pascal Ide, qui n’est malheureusement plus édité, mais qu’on trouve parfois d’occasion (actuellement 3 exemplaires sur la Fnac.com). L’auteur vous garantit un 12/20 si vous suivez scrupuleusement ses conseils et sa méthode ! Pour l’avoir expérimenté personnellement, j’ai eu 18/20 à l’épreuve de Culture Générale de mon diplôme d’instit’ et le fils d’une amie qui passait sa Maturité (le bac suisse), une épreuve hautement plus difficile que notre bac français, a obtenu un 5,5/6 (oui, leur système de notation est sur 6 !…) en philo, alors qu’il plafonnait avant et s’angoissait terriblement pour cette épreuve ! Un must have !

 

 

 

 

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