On lit et on écrit de la poésie…

Vous souvenez-vous de cette scène d’un film-culte (pour moi…) :
« On lit ou on écrit de la poésie non pas parce que c’est joli. On lit et on écrit de la poésie parce que l’on fait partie de l’humanité, et que l’humanité est faite de passions. La médecine, le droit, le commerce et l’industrie sont de nobles poursuites, et elles sont nécessaires pour assurer la vie. Mais la poésie, la beauté, l’amour, l’aventure, c’est en fait pour cela qu’on vit. Pour citer Whitman : « Ô moi ! Ô la vie ! Tant de questions qui m’assaillent sans cesse, ces interminables cortèges d’incroyants, ces cités peuplées de sots. Qu’y a-t-il de beau en cela ? Ô moi ! Ô la vie ! ». Réponse : que tu es ici, que la vie existe, et l’identité. Que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. Que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime… Quelle sera votre rime ? »
Réponse :
1275239904_poetes_disparus__6_
Le Cercle des poètes disparus, Peter Weir (réalisateur) et Tom Schulman (scénariste), 1989

La poésie n’est pas un jeu anodin avec les sons, les mots, les images : elle détient un pouvoir créateur, transformateur ! C’est ce que M. Keating, veut faire comprendre à ses étudiants pour les encourager à refuser le conformisme, à épanouir leurs personnalités et à cultiver leur goût de la liberté.

La poésie est la première expression littéraire de l’Humanité. Du grec ancien ποίησις, elle signifie « créer, faire ». Le poète est donc un créateur, un acteur de ce monde qui se munit de l’imaginaire pour sublimer et peindre une réalité, celle d’hier, d’aujourd’hui, de demain, d’ailleurs ou de nulle part.

Oubliez donc avant tout les clichés sur un genre élitiste et obscur. Certes, la poésie est « inexplicable » : le poème ne livre pas de réponse immédiate, le lecteur doit collaborer à son interprétation. Mais loin de dérouter les enfants, la poésie sollicite leur imagination. Qu’elle évoque une “fourmi de dix-huit mètres” ou la Seine qui coule “sous le pont Mirabeau”, elle les incite à poser un autre regard sur le monde, et à aborder des questions essentielles.

Eviter de confondre exercice scolaire et poésie : sortir du cadre de la récitation !

Si beaucoup d’enfants découvrent la poésie à l’école, pour certains, l’heure de la récitation est plutôt un supplice récurrent : celui de se retrouver seul, la voix tremblotante, rouge comme une pivoine, face à une classe goguenarde, après de longues heures de mémorisation laborieuse, de mots compliqués et de phrases bizarres ! Ca vous dit quelque chose ?

book-2752587_1920Certes, l’école donne l’occasion à chaque génération de se constituer un répertoire, où l’on retrouve quelques incontournables : L’Albatros de Baudelaire, Pour faire le portrait d’un oiseau de Prévert, Chanson d’automne de Verlaine… Sans aller directement aux Fleurs du mal, votre enfant va peu à peu aborder des poèmes plus complexes. C’est l’occasion de solliciter son intelligence sensible, son émotion, et de cultiver son goût des mots. Mais, encore une fois, l’école peut avoir l’effet inverse de celui recherché dans ce cas-là ! A mon avis, mieux vaut ne pas confondre exercice scolaire et poésie.

Pour aider les plus jeunes à prendre goût à la poésie, la recette n’est pas très compliquée. Il suffit de leur lire des poèmes, tout comme, auparavant, on leur a chanté des comptines, raconté des historiettes et des contes. On peut instaurer ce rituel, de temps en temps, à la place de l’histoire du soir, et ce dès trois ans. Rien ne vaut une lecture en famille, pour que l’enfant prenne ensuite la liberté de le faire seul, dans le secret de sa chambre, sans obligation, juste pour le plaisir des mots et des émotions qu’ils véhiculent !

Lire et faire lire des poèmes à un enfant, c’est l’éveiller à ce que la langue a de plus riche et de plus libre !

Offrez à vos enfants un vrai moment de répit et de rêve dans le tourbillon du quotidien !

Faites-leur découvrir le bonheur d’écouter et de lire de la poésie ! La lecture du poème marque une pause : pendant quelques minutes, elle invite à la méditation. C’est un appel au silence et à l’attention, et en cela, elle répond à un besoin profond des enfants. A l’opposé du spectaculaire, la poésie revendique la lenteur, la profondeur et le recentrement sur soi. Alors que l’on déplore les emplois du temps surchargés des plus jeunes, pourquoi ne pas miser sur ce genre de livres pour y introduire des moments de rêverie ?

narrative-794978_1920

Et surtout, mettez de côté vos commentaires sur les auteurs, les genres ou les contextes : il s’agit de leur faire entendre des poèmes, comme des cadeaux. Ne vous transformez pas en enseignant, c’est l’échec assuré ! C’est au contraire cette rencontre en famille qui donnera du sens au travail effectué ensuite à l’école.

Mais quels textes choisir ?

Piochez dans mille ans de poésie française ou étrangère ! Mêlez classiques et créations récentes, en prenant le contemporain pour point de départ. Rien de mieux pour commencer que de choisir une bonne anthologie, sous forme de recueil, évidemment, mais aussi de CD ou de DVD ! Le choix est immense !

Vous pourrez ainsi naviguer dans toutes les époques, tous les pays, tous les styles, et finir par identifier ce que votre enfant préfère ! Ensuite, vous pourrez choisir avec lui d’autres recueils de ses poètes préférés et enfin, créer votre propre anthologie ! Et pourquoi ne pas lui offrir une poésie à chaque anniversaire, ou à chaque Noël, comme une coutume, un rituel ?  Et puis un jour, il ou elle aura peut-être envie de les recopier sur un carnet intime et de les illustrer !…

(Je vous livre ici quelques pages de mon propre carnet intime illustré par mes soins. On y trouve des poèmes de Ronsard, Lamartine, Victor Hugo, Verlaine, de Lézard, une chanson de Cabrel, une d’Eva, des poèmes que mon amoureux m’a écrit, des compositions de français que j’ai rédigées au collège, des citations, un mot tendre de ma maman… des souvenirs poétiques de ma jeunesse !)

Ce diaporama nécessite JavaScript.

La poésie ne remplacera pas la lecture d’histoires, de contes ou de romans, mais elle se glissera peut-être dans les lectures personnelles de votre enfant, un jour… Le déclic peut survenir sur un détail, un poème drôle ou triste, qui correspond à son humeur un jour….

Nous avons tous quelque part, cachés dans notre mémoire des poèmes qui nous ont fait et qui nous font toujours rêver, rire ou pleurer. Allez, faites une pause et souvenez-vous !…

Prose ou alexandrins

Tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les enfants sont tous (plus ou moins) capables d’écrire de la poésie et d’y prendre du plaisir ! Evidemment, ils ne vont pas écrire en alexandrins pour commencer, mais les rimes arrivent vite, car les enfants aiment jouer avec les mots et ils sont très fiers quand ça sonne juste !
Une approche ludique, quand on espère leur faire écrire rondeaux, sonnets et ballades, est préférable. Pour cela, il faut déjà leur donner l’occasion d’écrire de la poésie et croire en eux ! Ensuite, il faut être patient : ce ne sont pas tous des Rimbaud en puissance ! Mais, certains commencent timidement, puis se prennent au jeu et après quelques essais, se lancent avec plus de confiance et d’inspiration ! Car c’est aussi en écrivant qu’on devient écrivain ou poète !
J’en ai fait l’expérience avec mes élèves ces deux dernières semaines, car le 21 mars, en dehors d’être le premier jour du Printemps, est aussi la Journée mondiale de la Poésie ! J’ai commencé mon approche de manière très simple, presque minimaliste, mais pas simpliste !  Il existe de nombreux jeux ou exercices pour aborder la poésie, mais d’emblée, j’ai écarté l’approche « écrire à la manière de… », que je trouve anti-créative ! Les enfants ne se foulent généralement pas, et les productions sont souvent (à mon goût !) plates et sans imagination ! Je me suis lancée, ou plutôt, je les ai lancés dès le début dans la création personnelle !
Bon, j’ai procédé par étape quand même ! D’abord, je leur ai fait lire des « haïkus », ces courts poèmes d’origine japonaise permettant de noter les émotions, le moment qui passe et qui émerveille ou qui étonne au fil des saisons. C’est une forme très concise, dix-sept syllabes en trois vers (5-7-5), normalement, mais on peut prendre quelques libertés !
Ensuite, je leur ai donné des vers d’haïkus découpés sous forme de bandelettes et mélangés, et ils devaient reconstituer leurs propres poèmes deux par deux. Ce n’était pas encore évident pour certains de donner une vraissemblance poétique à ces collages, mais c’était un bon début !
Enfin, tadaaa, je leur ai proposé d’écrire leur propre haïku ! Cris effarouchés, voire angoissés pour certains ! Alors, oui, il a fallu réexpliquer, rassurer, assouplir les règles trop strictes du 5-7-5… et petit à petit, les mots sont venus, parfois maladroits, un peu terre à terre, et parfois une pépite… Je leur demandais de retravailler certains vers, de chercher du vocabulaire plus précis, plus « poétique », d’imaginer qu’ils étaient des peintres et qu’ils posaient des touches de couleurs…
Et en deux séances, certains étaient déjà très inspirés, demandant s’ils pouvaient écrire plus de vers, les rimes sont arrivées aussi, je sentais déjà un ou deux portés par les émotions, et d’autres par le jeu des mots ! Un de mes garçons, très sensible, a même pris son « cahier d’écrivain » pour les vacances et j’ai bon espoir de lire quelques beaux poèmes à la rentrée…
Nombreux sont les procédés qui permettent aux enfants de faire un premier pas du côté de la production poétique. Ils se rendront ainsi compte qu’ils sont capables, à leur niveau, de s’exprimer de façon poétique. Le but est qu’ils prennent du plaisir à manipuler des poèmes et des mots, afin que la poésie ne soit plus pour eux un genre intimidant qu’il ne s’agirait que de réciter et révérer respectueusement, mais bien une pratique abordable. Si, ensuite, certains d’entre eux allaient au-delà, et s’emparaient eux-mêmes des mots, le pari serait gagné…
Et peut-être qu’ils auraient ainsi découvert le plaisir infini de la poésie, et son application ultérieure pour…

La séduction

Encore une citation du « Cercle des Poètes disparus  » :
 » Le langage s’est surtout développé pour un motif  : quel est-il, M. Anderson ? Etes-vous un homme ou un amibe… ? M. Perry ?
– Pour communiquer ?
– Non ! Pour séduire les femmes… »
Eh oui, que diable ! La beauté du langage, c’est aussi grâce à cela que, nous autres, les femmes, nous laissons séduire ! Et il faut apprendre aux jeunes filles à être sensibles aux mots, aux lettres, aux poèmes, qu’un homme leur écrira peut-être un jour ! Comme ce serait triste qu’une femme trouve « ringarde » la poésie d’un jeune homme amoureux ! Il faut l’accueillir avec bienveillance, ne serait-ce que par respect pour l’élan irrépressible de ses sentiments, qu’il envoie probablement transi de peur, vers l’élue de son coeur !
Et vous, Messieurs, laissez parler votre âme et votre passion ! N’ayez pas peur d’écrire des mots ardents ou des mots tendres ! S’ils sont reçus par une moquerie, vous saurez tout de suite que vous avez fait fausse route ! Mais si ce n’est pas le cas, vous saurez de la même façon, qu’en face de vous, est une personne sensible, tout autant que vous l’êtes ! Alors, peut-être que ce sera la « bonne » !
De Ronsard à Verlaine, tous les poètes ont exprimé leur passion pour les femmes !
Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul VERLAINE (1844-1896)
Alors, oui, il faut lire et faire écrire de la poésie aux enfants, pour qu’un jour, ils soient capables d’être sensibles à la poésie amoureuse !!!
Et pour bien d’autres raisons, bien sûr !!!
Mais je vais m’arrêter là pour aujourd’hui, et me réserve pour une suite à cet article !
Et vous, quel est votre poème/poète préféré ? N’hésitez pas à partager vos souvenirs, vos émotions, ou vos poèmes, en commentaires !
A bientôt !

3 commentaires

  1. Je me souviens……lorsque j étais enfant !
    Le soir, à la veillée (il n y avait pas encore la télévision chez nous), Papa prenait au hasard un livre de poèmes dans sa collection et, pendant que Maman ravaudait quelque chaussette ou autre torchon, il nous faisait la lecture d’ un poème. Parfois je sentais sa voix se troubler par l émotion que lui procurait cette lecture. Alors mon attention se faisait plus intense parce que je voulais, moi aussi, être émue.
    Oui, je partage cet avis de Geraldine, que nous devrions tous initier nos enfants à la poésie

    Aimé par 1 personne

  2. Quelle bonne idée de remplacer par une poésie l’histoire du soir!
    Merci Géraldine !
    Et pour « le cercle des poètes disparus »
    c’était mon film au culte 🙂

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s